Il y a maintenant deux semaines, nous nous sommes éloigné.e.s des grandes villes touristiques pour s'arrêter deux jours à Cerro del Pasco, agglomération de 50000 habitants la plus haute du monde (4300 mètres d'altitude). A vrai dire, rien à première vue de très attrayant, nous nous sommes donc baladé.e.s dans la ville jusqu'à l'office de tourisme où on nous a proposé de faire une visite avec une guide bénévole. Pamela, 20 ans, connaît beaucoup plus de choses sur sa culture et sa ville que nous ne pourrions en dire sur les nôtres ; et ce qu'elle sait lui vient de son grand père et son père, mineurs, ainsi que de sa soeur qui travaille dans les métiers de la culture.
Cerro del Pasco est aujourd'hui avant tout une ville minière, c'est donc par là que nous avons commencé la visite. La majorité des habitants travaillent à la mine, afin d'extraire du zinc, cuivre et argent, métaux qui seront exportés à l'international. La légende raconte que des hommes ont trouvé ces métaux par hasard dans une grotte où ils s'abritaient de la pluie. Avec l'humidité et l'altitude, ils ont allumé un feu autour duquel se réchauffer, et c'est là que seraient tombées des pierres qui avec la chaleur laissaient s'échapper les lueurs d'argent. Ils se sont donc mis à creuser, jusqu'à nos jours, mais les moyens d'exploitation ne sont plus du tout les mêmes. Nous avons été sur cette place où se dresse une statue qui représente l'habillement de travail des premiers mineurs. Evidemment, l'équipement était beaucoup moins sécurisant : pour chaussures, de simples tissus de cuir ficelés à leurs chevilles, du cuir également sur les genoux et les coudes pour se protéger lors de l'avancée dans les tunnels rocheux, une bourse portée sur le côté qui contient des feuilles de coca (tradition ancestrale qui aide pour l'altutide) et de la canne à sucre, un sac plus grand sur le dos pour les cailloux récoltés, et enfin casque et lanterne sur la tête. Le manque de sécurité se faisait aussi sentir au niveau de l'administration du travail : les mineurs n'étaient pas rencensés, ce qui signifie que s'ils donnaient une partie des métaux trouvés, personne ne remarquait pour autant si accident il y avait dans la mine.
Cette activité s'entoure de toute une culture, aussi liée à l'environnement montagneux. Par exemple, on croit aux "Mukis", petits êtres surnaturels qui protègent les mineurs qui les honorent. Ainsi, le grand-père de Pamela, dormant une nuit dans une grotte car il n'avait pu rentrer chez lui, avait senti quelqu'un le secouer pour le réveiller et avait ensuite suivi cette ombre trop rapide pour être clairement vue. En retournant sur ses pas, il s'arrêta net devant les blocs de pierres qui s'écroulaient à l'endroit où il s'étaient endormi. Pour s'attirer la bienveillance de ces âmes, les offrandes de feuilles de coca sont les bienvenues, mais attention, seuls ceux qui croient aux Mukis seront protégés : "como te comportas con el Muki, el Muki se comporta con tigo" (Si tu te comportes bien avec le Muki, il veillera sur toi).
Et pour finir ce paragraphe sur les bienfaiteurs de la ville, notons la statue de ce médecin, Daniel Alcides Carrión Garcia, dont on n'avait pas compris le sens avant que nous l'explique Pamela. Au 19eme siècle, une grande épidémie frappa Cerro del Pasco et s'étendait de la mine jusqu'à la ville. Alors ce médecin s'injecta le virus, afin de pouvoir en décrire les symptômes très précisément, dans des lettres qu'il envoyait à ses confrères. Ces derniers ont pu trouver un antidote et stopper l'épidémie, mais leur ami était déjà mort. Ce sacrifice lui a valu l'adjectif de martyre, une grande statue sur la Plaza de Armas, et en 1991 le statut de Héros national.
Statue à l'effigie de Daniel Alcides Carrión Garcia |
Pour en revenir à la mine, elle s'est agrandie encore et encore, jusqu'à pouvoir dire qu'elle dévore la ville petit à petit. Les maisons ont été achetées et détruites pour pouvoir creuser plus profond et élargir de plus en plus ce fossé au milieu de la vie urbaine. Pamela nous a raconté qu'à l'époque, on avait simplement toqué à la porte de sa maison, informant sa famille qu'elle devait déménager en échange d'argent. Aujourd'hui, les habitants ont le choix de vendre ou non leur propriété, mais si la surface appartient à la famille, les acteurs de la mine estiment que le sous-sol est leur et s'octroient donc le pouvoir de le faire exploser pour continuer l'extraction de métaux. C'est tout un réseau de pouvoir et de contrainte qui exerce sa domination économique sur la population urbaine. Quand on se baladait dans les rues autour de la mine, la plupart des maisons étaient peintes en vert : c'est le signe distinctif qui indique qu'elles ont été achetées par les entreprises d'extraction. Seule une maison maintenait la résistance, avec pour icone Charlie Chaplin ; le propriétaire n'y habite plus (à cause de la trop mauvaise qualité de vie), elle abrite donc des jeunes artistes qui viennent y jouer de la musique ou faire du théâtre le week end.
La mine à ciel ouvert dévorant la ville |
La maison "Cobrizo Minero" (le Mineur de Cuivre) et son Charlie Chaplin résistant |
Le problème posé par la mine est le suivant : ce n'est pas un choix des habitants d'élargir la mine, d'y travailler, de vendre leur maison, mais de la pression économique. Quand on a demandé à Pamela ce qu'elle pensait de la mine (sachant que son père et son grand-père étaient mineurs) elle nous a répondu ceci : ce n'est pas tant la mine le problème, c'est qu'elle ne soit pas exploitée de manière responsable. Ses parents par exemple ont déménagé dans un village environnant pour ne pas respirer la pollution émise. Les gens qui quittent leur habitation en échange d'argent s'en vont dans des maisons à peine finies, toutes grises (alors que toutes les villes péruviennes sont riches en couleurs), et n'ont pas accès à une eau qui soit directement utilisable. En effet, il y avait deux lacs particuliers voisins de Cerro del Pasco, un lac d'eau pure potable, qui a été contaminé et un autre lac source d'eau utilisable pour nourriture et hygiène, aujourd'hui asséché pour les besoins de la mine. Les riverains doivent donc stocker l'eau et la purifier à raison d'une fois par semaine, puisque celle du robinet n'est même plus utilisable pour se laver. "A quoi bon recevoir de l'argent si l'on n'a pas une bonne qualité de vie ?" nous demande Pamela. Elle nous explique que cette situation est acceptée d'une part parce que les gens sont pauvres et qu'ils ont besoin du travail offert par la mine, d'autre part parce que les conséquences environnementales et humaines sont censurées. Sa soeur par exemple avait reçu des menaces de mort après avoir publié un article sur ces sujets.
Lac asséché pour les besoins de la mine |
Sont-ce des choses dont on se doute lorsque l'on achète un bracelet en argent ? C'est la remarque que j'ai faite à Pamela, je lui ai expliqué que l'on ne soupçonne même pas tout ce que notre action implique lorsque l'on achète ces métaux importés, et elle m'a répondu "pero nos afectan" ("pourtant elles nous affectent"). Une bonne occasion de penser notre implication dans le fonctionnement du monde et des échanges, et de prendre conscience de ce qu'il y a à l'autre bout de la chaîne, derrière notre action et le tas d'intermédiaires, qui sont autant de voiles qui se posent et nous empêchent d'apercevoir la ville aux maisons vertes et grises.