mercredi 14 mai 2014

La ville minière de Cerro del Pasco


Il y a maintenant deux semaines, nous nous sommes éloigné.e.s des grandes villes touristiques pour s'arrêter deux jours à Cerro del Pasco, agglomération de 50000 habitants la plus haute du monde (4300 mètres d'altitude). A vrai dire, rien à première vue de très attrayant, nous nous sommes donc baladé.e.s dans la ville jusqu'à l'office de tourisme où on nous a proposé de faire une visite avec une guide bénévole. Pamela, 20 ans, connaît beaucoup plus de choses sur sa culture et sa ville que nous ne pourrions en dire sur les nôtres ; et ce qu'elle sait lui vient de son grand père et son père, mineurs, ainsi que de sa soeur qui travaille dans les métiers de la culture.


Cerro del Pasco est aujourd'hui avant tout une ville minière, c'est donc par là que nous avons commencé la visite. La majorité des habitants travaillent à la mine, afin d'extraire du zinc, cuivre et argent, métaux qui seront exportés à l'international. La légende raconte que des hommes ont trouvé ces métaux par hasard dans une grotte où ils s'abritaient de la pluie. Avec l'humidité et l'altitude, ils ont allumé un feu autour duquel se réchauffer, et c'est là que seraient tombées des pierres qui avec la chaleur laissaient s'échapper les lueurs d'argent. Ils se sont donc mis à creuser, jusqu'à nos jours, mais les moyens d'exploitation ne sont plus du tout les mêmes. Nous avons été sur cette place où se dresse une statue qui représente l'habillement de travail des premiers mineurs. Evidemment, l'équipement était beaucoup moins sécurisant : pour chaussures, de simples tissus de cuir ficelés à leurs chevilles, du cuir également sur les genoux et les coudes pour se protéger lors de l'avancée dans les tunnels rocheux, une bourse portée sur le côté qui contient des feuilles de coca (tradition ancestrale qui aide pour l'altutide) et de la canne à sucre, un sac plus grand sur le dos pour les cailloux récoltés, et enfin casque et lanterne sur la tête. Le manque de sécurité se faisait aussi sentir au niveau de l'administration du travail : les mineurs n'étaient pas rencensés, ce qui signifie que s'ils donnaient une partie des métaux trouvés, personne ne remarquait pour autant si accident il y avait dans la mine.

Cette activité s'entoure de toute une culture, aussi liée à l'environnement montagneux. Par exemple, on croit aux "Mukis", petits êtres surnaturels qui protègent les mineurs qui les honorent. Ainsi, le grand-père de Pamela, dormant une nuit dans une grotte car il n'avait pu rentrer chez lui, avait senti quelqu'un le secouer pour le réveiller et avait ensuite suivi cette ombre trop rapide pour être clairement vue. En retournant sur ses pas, il s'arrêta net devant les blocs de pierres qui s'écroulaient à l'endroit où il s'étaient endormi. Pour s'attirer la bienveillance de ces âmes, les offrandes de feuilles de coca sont les bienvenues, mais attention, seuls ceux qui croient aux Mukis seront protégés : "como te comportas con el Muki, el Muki se comporta con tigo" (Si tu te comportes bien avec le Muki, il veillera sur toi).
Et pour finir ce paragraphe sur les bienfaiteurs de la ville, notons la statue de ce médecin, Daniel Alcides Carrión Garcia, dont on n'avait pas compris le sens avant que nous l'explique Pamela. Au 19eme siècle, une grande épidémie frappa Cerro del Pasco et s'étendait de la mine jusqu'à la ville. Alors ce médecin s'injecta le virus, afin de pouvoir en décrire les symptômes très précisément, dans des lettres qu'il envoyait à ses confrères. Ces derniers ont pu trouver un antidote et stopper l'épidémie, mais leur ami était déjà mort. Ce sacrifice lui a valu l'adjectif de martyre, une grande statue sur la Plaza de Armas, et en 1991 le statut de Héros national.

Statue à l'effigie de Daniel Alcides Carrión Garcia

Pour en revenir à la mine, elle s'est agrandie encore et encore, jusqu'à pouvoir dire qu'elle dévore la ville petit à petit. Les maisons ont été achetées et détruites pour pouvoir creuser plus profond et élargir de plus en plus ce fossé au milieu de la vie urbaine. Pamela nous a raconté qu'à l'époque, on avait simplement toqué à la porte de sa maison, informant sa famille qu'elle devait déménager en échange d'argent. Aujourd'hui, les habitants ont le choix de vendre ou non leur propriété, mais si la surface appartient à la famille, les acteurs de la mine estiment que le sous-sol est leur et s'octroient donc le pouvoir de le faire exploser pour continuer l'extraction de métaux. C'est tout un réseau de pouvoir et de contrainte qui exerce sa domination économique sur la population urbaine. Quand on se baladait dans les rues autour de la mine, la plupart des maisons étaient peintes en vert : c'est le signe distinctif qui indique qu'elles ont été achetées par les entreprises d'extraction. Seule une maison maintenait la résistance, avec pour icone Charlie Chaplin ; le propriétaire n'y habite plus (à cause de la trop mauvaise qualité de vie), elle abrite donc des jeunes artistes qui viennent y jouer de la musique ou faire du théâtre le week end.

La mine à ciel ouvert dévorant la ville

La maison "Cobrizo Minero" (le Mineur de Cuivre) et son Charlie Chaplin résistant

Le problème posé par la mine est le suivant : ce n'est pas un choix des habitants d'élargir la mine, d'y travailler, de vendre leur maison, mais de la pression économique. Quand on a demandé à Pamela ce qu'elle pensait de la mine (sachant que son père et son grand-père étaient mineurs) elle nous a répondu ceci : ce n'est pas tant la mine le problème, c'est qu'elle ne soit pas exploitée de manière responsable. Ses parents par exemple ont déménagé dans un village environnant pour ne pas respirer la pollution émise. Les gens qui quittent leur habitation en échange d'argent s'en vont dans des maisons à peine finies, toutes grises (alors que toutes les villes péruviennes sont riches en couleurs), et n'ont pas accès à une eau qui soit directement utilisable. En effet, il y avait deux lacs particuliers voisins de Cerro del Pasco, un lac d'eau pure potable, qui a été contaminé et un autre lac source d'eau utilisable pour nourriture et hygiène, aujourd'hui asséché pour les besoins de la mine. Les riverains doivent donc stocker l'eau et la purifier à raison d'une fois par semaine, puisque celle du robinet n'est même plus utilisable pour se laver. "A quoi bon recevoir de l'argent si l'on n'a pas une bonne qualité de vie ?" nous demande Pamela. Elle nous explique que cette situation est acceptée d'une part parce que les gens sont pauvres et qu'ils ont besoin du travail offert par la mine, d'autre part parce que les conséquences environnementales et humaines sont censurées. Sa soeur par exemple avait reçu des menaces de mort après avoir publié un article sur ces sujets.

Lac asséché pour les besoins de la mine

Sont-ce des choses dont on se doute lorsque l'on achète un bracelet en argent ? C'est la remarque que j'ai faite à Pamela, je lui ai expliqué que l'on ne soupçonne même pas tout ce que notre action implique lorsque l'on achète ces métaux importés, et elle m'a répondu "pero nos afectan" ("pourtant elles nous affectent"). Une bonne occasion de penser notre implication dans le fonctionnement du monde et des échanges, et de prendre conscience de ce qu'il y a à l'autre bout de la chaîne, derrière notre action et le tas d'intermédiaires, qui sont autant de voiles qui se posent et nous empêchent d'apercevoir la ville aux maisons vertes et grises.



lundi 12 mai 2014

Notre mode de vie au Pérou


Voilà maintenant trois mois que nous sommes au Pérou, et on espère que nos articles sur ce qu'on fait de manière ponctuelle vous font voyager un peu avec nous, vous aident à vous figurer le mode de vie et la culture d'un autre pays. Toutefois, il y a des éléments qui font maintenant partie de notre quotidien, de notre mode de vie ici, qui nous paraissent normaux et dont il nous semble essentiel de faire un récapitulatif dans le cadre de notre projet. Il s'agit pour nous ici de prendre du recul et d'observer notre propre changement de regard sur les habitudes qu'on a prises.

Parler espagnol : c'est quelque chose qui semble évident mais dont nous n'avons jamais parlé. En Amérique du Sud, dans les pays anciennement colonisés par l'Espagne (c'est-à-dire sauf au Brésil), on parle espagnol, d'autant plus que très peu de gens savent parler anglais ici, alors on s'adapte et on apprend. De même, le fait que la ville soit organisée en blocs selon un plan orthogonal autour de la Plaza de Armas, ou que l'on se balade au milieu de maisons coloniales, avec des petits balcons, ou encore que l'on aperçoive partout des églises, ou des "Dios es mi guia" (Dieu est mon guide) et des "Jesus te ama" (Jésus t'aime), notamment sur les parbrises des taxis et des bus, tous ces éléments sont des conséquences de la conquête espagnole.

Balcon colonial et couleurs de Trujillo

La nourriture : on mange du riz et des pommes de terre tous les jours, et pour Joris, du poulet ! Le poulet est la viande nationale, il y en a partout : le jambon,les patisseries fourrées à la viande, dans les restaurants, sur les marchés... Il y en a tellement que c'est à peine considéré comme une viande ; quand on mange au restaurant et que je préviens que je suis végétarienne, je dois préciser "no carne, no pescado y no pollo" (pas de viande, pas de poisson et pas de poulet). Il faut aussi s'attendre à voir des cochons dinde sur les marchés, en montagne des cochons entiers cuisant dans les rues, et la possibilité de manger du steak d'Alpaca (espèce de lama). En ce qui concerne les féculents, ça sera riz, pommes de terre, ou les deux ! Les différences culinaires entre le Pérou et la France tiennent en partie au fait qu'ici, les produits consommés viennent directement de la terre et ne subissent que très peu de transformation en cuisine, ainsi, riz sans sauce et patates natures, à l'exeption bien sur de l'aji (sauce piquante).

Papas fritas et pollo pour le petit déjeuner, Ayacucho

Les achats dans la rue : ça nous parait être une évidence maintenant, quand on a besoin de quelque chose, en particulier pour manger, on demande le marché, ou on se balade tout simplement dans les rues où l'on est sur de trouver ce que l'on veut. Il semble très facile de créer son commerce ici, tout le monde a l'air de pouvoir acheter et revendre, sur des bicycletes, sur un tapis sur le trottoir, dans sa propre maison. C'est la même chose pour les restaurants, il semble que tout le monde puisse faire à manger pour d'autres personnes dès lors qu'il y a un endroit pour le faire, et si ce n'est pas un endroit fermé, c'est dans la rue ! En fait, c'est 70% de la population péruvienne qui entre dans cette catégorie de métiers que l'on peut appeler économie informelle. On pensait qu'il n'y avait aucune réglementation jusqu'à ce que l'on ai vu des inspecteurs évaluer le travail des dames du jus d'orange à Cajamarca, du coup on ne sait pas très bien comment ça marche, mais ce qui est sûr, c'est que les supermarchés, on a oublié ! Tout au plus rentrons-nous dans une pharmacie lorsque l'on veut du savon. En effet, ici les "farmacias" se succèdent dans les rues, mais rien à voir avec nos magasins à médicaments : on trouve plus de shampoing, crèmes pour le visages, et meme des canettes de red bull (!) que de pilules.


Les moyens de transports : si l'impression de chaos urbain est donnée par le trafic routier, les déplacements ici se font d'une manière que l'on a jamais connue aussi facile. On doit aller à un endroit, on demande notre chemin à une personne dans la rue, elle nous indique où prendre un taxi ou un combi pour y aller, on s'y rend, on fait signe, et le tour est joué ! Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il n'y a pas d'arrêt de bus ni même d'horaires, il suffit de se rendre sur une route où les voitures passent pour prendre un collectivo, payer tout au plus 3 soles (soit moins d'un euro) ou prendre un taxi qui nous emmène à l'autre bout de la ville pour 6 soles (soit 1,5 euros). On a rencontré une exception à Lima, où il fallait attendre à un arrêt, et pour le dire franchement, nous étions bien désorienté.e.s !

L'argent : la monnaie péruvienne est le Nuevo Sole, et un euro vaut environ 3,8 Soles. On pourrait donc se dire qu'en tant qu'Européens, au Pérou, tout est 4 fois moins cher, et c'est vrai, mais Joris et moi nous sommes habitué.e.s à cette monnaie et ne convertissons pas en euro à chaque achat. On se souvient d'une fois à Cajamarca où nous sommes sorti.e.s dans un nouveau cinéma et l'entrée était à 15 soles, comparé à l'ancien où l'on n'avait jamais payé plus de 8 soles. Ca nous a paru extrêment cher ! Alors nous avons fait la conversion en euro et ça ne nous revenait plus qu'à 4 euros l'entrée de cinéma, ce qui en France est extrêmement bon marché !

Le climat des montagnes : nous avons passé assez de temps dans les Andes pour dire que la météo est tout ce qu'il y a de plus incertain. Ainsi, quand on part pour la journée, et que le soleil brille le matin, on emmène dans notre sac crème solaire et chapeau, mais aussi écharpe, bonnet et veste impérméable, car il est fort probable qu'il pleuvra dans la journée !

L'eau : c'est une chose dont on a pris l'habitude, on ne boit pas l'eau du robinet. Pour s'hydrater, soit on achète une bouteille d'eau, soit on remplit nos gourdes et on y ajoute une petite pilule pharmaceutique qui purifie l'eau. En théorie on devrait aussi faire attention à notre alimentation et ne manger que des légumes cuits, mais nous avons pris l'habitude à Cajamarca de pouvoir manger de la salade lavée avec l'eau du robinet, nous ne sommes donc pas très précautionneux. Encore l'autre jour au restaurant nous avons mangé de la salade, et c'est seulement après le repas que l'on s'est dit que peut-être on tomberait malade. Pour l'instant heureusement, pas de problèmes d'estomac en vue (dus à l'eau en tout cas).

Sur les Plazas de Armas, les locaux se font cirer les chaussures avant d'aller au travail

Le peuplement urbain : se balader dans la rue en ville, c'est être au milieu d'un paysage urbain différent de celui qu'on imagine si l'on se base sur les villes françaises. Comme il vous l'a été expliqué dans un précédent article, il y a beaucoup de chiens, non domestiqués, qui se promènent dans la ville à la recherche de nourriture ou courrant après les voitures. Aussi, se promener en ville c'est faire attention aux voitures qui ne ralentiront que rarement pour vous laisser passer, qui klaxonnent à tout va (parfois sans que l'on comprenne bien pourquoi) et dont les alarmes anti-vol résonnent toute la journée durant. Ce que l'on voit également et dont on ne vous a peut-être jamais parlé, ce sont ces femmes péruviennes qui se vêtissent de leur habit traditionnel et portent tout ce dont elles ont besoin sur leur dos, qu'il s'agisse de leurs courses ou de leur bébé. C'est aussi voir des hommes ou des femmes dormir sur les bancs de la Plaza de Armas ou parfois même directement sur les trottoirs, par terre. Enfin, vivre au Pérou c'est devoir s'habituer à voir les gens jeter leurs déchêts plastiques par terre, et par conséquent à marcher au milieu des détrituts quand on se promène en ville.


Where are you from ? : C'est une question que l'on entend tous les jours. Ceux qui peuvent la posent en anglais, et même les enfants quand on se balade dans les rues nous lancent un "Hello !" pour attirer notre attention, sinon on nous questionne en espagnol. Cela nous amène à penser l'image que le touriste renvoie aux Péruviens, en particulier le touriste "blanc". On voit beaucoup d'affiches publicitaires, surtout chez le coiffeur mais aussi pour promouvoir l'eau ou les vêtements des boutiques, des mannequins "blanc.he.s" voire blond.e.s ou sud-américain.e.s à la peau blanchie. Nous pensons que l'on met en vitrine les images auxquelles on souhaite ressembler, ce qui l'amène à penser que la personne "blanche" est adulée ou au moins enviée par les Péruviens, tant au niveau de son physique (il faut voir comme les 'gringas' blondes se font draguées) qu'au niveau de leur situation économique et sociale : le monde occidental est formé de pays riches et développés. Cela amènerait les Péruviens à voir les gringos et gringas comme des mascottes : il est arrivé plusieurs fois que des locaux nous demandent de nous prendre en photo avec eux avec leur appareil. C'est une perception qui découle certainement de la hiérarchisation socio-raciale coloniale : il y avait les Espagnols, les créoles (descendants des Espagnols nés en Amérique ibérique), les métis (fruit de l'union entre un.e Indien.ne et un.e Espagnol.e) puis les indigènes, dans l'ordre décroissant de la valeur sociale dans l'organisation coloniale. Ainsi, le descendants des créoles ont tendance aujourd'hui à tenir des postes fixes à responsabilité (médecine, administration, banque, politique) et les descendants des Indiens font partie de l'économie informelle.

Laura se fait prendre en photo avec des gens qu'elle ne connait pas...

Afin d'enrichir notre perception,n'hésitez pas à nous écrire si vous avez des idées ou des pistes de réfléxions ! humanidad.peru@gmail.com




lundi 5 mai 2014

Les rues de Cajamarca

Nous voici partis de Cajamarca, à présent à la rencontre des paysages de la côte péruvienne, de la Cordillère Blanche et la Cordillère Centrale. Mais avant de vous en dire plus sur nos nouvelles découvertes, un dernier article sur cette ville tranquille et agitée à la fois qu'est Cajamarca, et qui nous manque déjà beaucoup.

On a pu observer beaucoup d'aspects qui diffèrent de la conception qu'on se fait d'une ville en Europe, et une des principales différences se trouve dans la répartition des commerces. Dans cette ville (comme dans d'autres au Pérou), la répartition géographique des magasins fonctionne par rues, c'est-à-dire que les boutiques du même genre se concentrent dans la même rue, ainsi il y a la rue des opticiens, la rue des technologies numériques, la rue des avocats et notaires, etc. Ca nous amusait bien avec Laura de se déplacer dans ces rues et de pouvoir les identifer selon leur nature, facile pour donner des directions aussi ! Souvent, les commerces sont développés dans des rues proches d'un bâtiment ou institution en relation avec les produits vendus : la rue des cercueils et des fleurs était donc parallèle au cimetière, celle des fournitures scolaires et photocopies le long de l'Université, etc. On s'est quand même dit que tout cela pose un problème de concurrence, mais après tout l'aspect pratique de savoir où aller lorsqu'on a besoin de quelque chose en particulier fait bien plaisir.

La rue des opticiens

Le long des rues, et surtout une fois la nuit tombée, les vendeurs de bric-à-brac cèdent la place aux stands de hamburgers à 2 soles et aux chiens errants qui rodent autour des restes de poulet et de saucisses froids. Il y a beaucoup de chiens sans maître à Cajamarca, et on les entend pratiquement tous les soirs grogner et abboyer les uns envers les autres. C'est assez étonnant car rien ne semble être fait pour s'en occuper, et la communauté cannine continue de errer librement dans les rues, où souvent reigne la loi du plus fort... Beaucoup d'entre eux sont en très mauvais point, et ça nous fait mal au coeur de les voir boiter et se mordre jusqu'au sang parfois, livrés à leur instinct sauvage. Le contraste est d'autant plus étonnant lorsque l'on voit les rares chiens domestiques vêtus de petits pullovers colorés à l'image de leurs maîtres ! Toujours est-il que les services de SPA ont l'air d'être assez rares ici, alors les chiens continuent de courrir en paires complices ou petits groupes organisés à travers la nuit, éclairés par l'éclat de quelques étoiles et des réverbères.


Le soir est aussi le moment où passent les camions-poubelle au son d'une cloche que l'un des éboueurs agite pour prévenir de leur arrivée. Nous vous avions déjà parlé de l'absence de contenaires dans les rues, dont l'alternative sont ces sortes de gouttières creusées le long des rues où les gens déposent leurs sacs d'ordures à la fin de la journée pour qu'ils soient ramassés par les éboueurs. Le problème est que lorsqu'il pleut, toutes ces ordures sont emportées par l'eau qui glisse jusqu'aux rivières. Ce qui est étonnant est que l'on a vu beaucoup de murs peints avec des slogans rappelant aux habitants de ne pas jeter leurs déchets dans la rivière, pour "garder Cajamarca propre", mais le système de gouttières achemine de la même façon les ordures jusqu'aux cours d'eau... La question de l'environnement est souvent controversée dans les pays en développement, car bien qu'à certains endroits (touristiques, pour la plupart) on trouve des poubelles publiques et parfois même de tri, quasiment rien n'est fait au niveau du gouvernement pour prévenir la pollution et informer sur ses conséquences désastreuses pour la Pachamama (Terre Mère)

La rue de Tarapacá innondée par la pluie

Le développement industriel rapide d'un pays comme le Pérou ne laisse pas souvent place aux logiques essentielles de la protection de l'environnement, car il cherche à rattraper le "retard" qu'il a accumulé du fait qu'il soit considéré comme un pays jeune. La question avait été posée lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 à propos de l'industrialisation de la Chine, qui avait mis en évidence le fait que nos pays développés avaient connu une industrialisation extrêmement mauvaise pour l'environnement (usines chimiques, charbon, etc), et donc pourquoi les nouveaux pays n'auraient-ils pas le droit de faire de même ? Cet argument controversé nous rappelle que la question de la protection de l'environnement découle d'une pensée occidentale de pays "riches", qui ont notamment les moyens pour développer des infratructures pour le traitement des eaux et des déchets. Ainsi doit-on empêcher le développement industriel au profit du développement durable, ou est-il d'abord nécessaire de laisser ces pays rattraper leur retard économique au détriment de l'environnement ?


La mine de Yanacocha


Voilà un certain temps que nous avions envie de vous parler d'un sujet qui fait polémique en Amérique latine, et plus particulièrement au Pérou : l'exploitation minière. L'économie péruvienne est très dépendante du secteur minier, qui représente plus de60% des exportations, et environ 15% des recettes fiscales du pays. L'investissement privé dans ce secteur, majoritairement en provenance des pays riches comme la France ou les Etats-Unis, a triplé au cours des 20 dernières années, et la recherche de l'or, de l'argent et des autres métaux précieux continue de s'amplifier et influe grandement sur les territoires exploités.

A une trentaine de kilomètres de Cajamarca, dissimulée derrières les hauts sommets des montagnes, se trouve l'exploitation minière de Yanacocha, ville qui ne dort jamais. J'appelle cela une ville car c'est ainsi qu'elle fonctionne : les travailleurs y vivent le jour et la nuit, dans la lumière constante des feux d'éclairage, et on y trouve des salles de sport et autres bâtiments construits pour permettre aux 'mineurs' de rester là-haut. La mine a 21 ans d'existence, et elle est considérée à ce jour comme la plus grande mine d'or d'Amérique latine et la deuxième plus grande au monde. On y creuse pour trouver de l'or, mais aussi de l'argent ou du mercure qui sont des métaux revendus très cher sur le marché.

Article du journal Le Monde, mars 2014
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 L'exploitation minière est un secteur qui consomme d'énormes ressources en eau (creuser, nettoyer les minerais et les outils de forage,...), et depuis l'ouverture de la mine en 1993, plusieurs lacs naturels ont été asséchés ou déplacés dans d'autres zones sous forme de lacs artificiels afin de permettre des forages plus en profondeur. Ce déplacement des ressources hydriques pourrait mettre en danger tout le système d'agriculture des campesinos (paysans) de la région de Cajamarca, notamment à cause de la modification du territoire engendrée par les projets miniers.

Un autre problème se pose toujours lié à la sphère agricole : celui de la pollution. Les machines utilisées pour creuser dans la roche sont nettoyées avec du cyanure liquide, produit chimique dangereux dont les niveaux relevés dans les lacs et les rivières de la région ont été jugés supérieurs à la normale ces dernières années. Des instituts de recherche pour l'environnement ont soumis des normes à respecter pour l'entreprise de Yanacocha, qui doivent toujours être mises en oeuvre. Ces hauts niveaux de contamination des eaux pourraient également se répercuter sur la vie humaine, c'est pourquoi il est important qu'ils soient respectés.

Slogan inscrit sur une colline de Cajamarca
En 2004, un projet de nom Conga a été lancé afin d'élargir la mine de Yanacocha, celle-ci étant en baisse de productivité depuis quelques années. A Cajamarca, on a souvent vu sur les murs ou dans des prospectus le slogan "Conga, no va!"proné par les manifestants qui demandent la suppression de ce projet, nécessitant, selon eux, l'assèchement de 4 autres lagunes de la région, indispensablesaux systèmes agricoles d'irrigation et à l'approvisionnement en eau de plusieurs populations andines. Certains de ces manifestants se sont regroupés sur le Cerro Quilish où devraient commencer les travaux de forage, et occupent le territoire jour et nuit dans une espèce de micro-société luttant pour préserver leur terre. Des affrontements parfois très violents peuvent avoir lieu entre les forces de la police nationale et la milice de Yanacocha, et les manifestants.

Prospectus distribué dans la rue

 En fait, l'industrie minière est très peu intégrée à l'économie locale, et sert bien plus des intérêts de niveaux national et international. En ce qui concerne Cajamarca, seulement 1,3% de la population active est employée dans la mine, et ce sont pour la plupart des ingénieurs mécaniques et chercheurs venant de l'étranger installés dans la ville. L'exploitation minière pose donc plusieurs problèmes, dont le principal et plus important selon nous reste un des moins connus : il s'agit du droit d'exploitation du sol. Les grandes entreprises s'octroient ce droit, en accord avec le gouvernement national en vigueur qui trop souvent ne tient pas compte des populationshabitant ces territoires, c'est-à dire que l'on vient exploiter les ressources territoriales des peuples sans leur accord. Les communautés Quechua et Ayamara du Pérou sont les victimes directes de leur isolement, ne possédant pour la plupart pas de documents d'identité et n'étant par conséquent pas considérées juridiquement en tant que citoyens devant être consultés sur l'autorisation d'exploitation de leur sol...

On a été profondément choqués d'apprendre ça, et cela nous a amené à écrire cet article afin de pouvoir faire connaître un peu plus la situation d'un pays aux riches ressources naturelles exploitées en continu. Certes, le monde de la mine fournit du travail à un nombre certain de personnes (toutefois souvent moins chanceuses que les ingénieurs de Yanacocha, exemple à Potosi en Bolivie où l'on met une pioche entre les mains d'enfants d'à peine 6 ans...), et il est sûr que la mine représente un atoût économique important pour le pays, mais nous pensons que trop souvent sont oubliées les conséquences sur le plan humain. Le marché des métaux précieux, depuis la conquête de l'Amérique du Sud par leseuropéens, a évolué en parallèle avec un non-respect des populations locales et de leurs droits. Que ce soit au niveau de l'eau, du sol ou pire, de la vie humaine, les grandes entreprises économiques ont l'avantage sur le "droit du sol" des personnes habitant les territoires exploités. Mais d'où vient cet avantage ? En quoi les grands acteurs de l'économie mondiale sont-ils supérieurs sur le plan décisionnel aux hommes et femmes luttant pour la protection de leur environnement naturel ? En réalité, ils sont sanctionnés parce qu'ils n'ont pas voulu entrer dans le moule du système économico-politqueactuel, et ne sont ainsi pas considérés en tant qu'hommes et femmes possédant des droits. C'est une constatation qui nous amène à une réflexion sur la dualité entre être humain et être économique : vers quelle attitude tendons-nous ? Où se situe la limite entre humanité et économie ? Entre l'eau et l'or ? A méditer...

"Sans eau, il n'y a pas de vie"